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Le projet de recouvrement de la Kirneck

par Christian SCHMITTHEISLER 

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La vie des ouvriers au XIXe siècle

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Au milieu du XIXe siècle Barr est un petit bourg de 4500 habitants. Le tissage, la filature, la teinturerie et la bonneterie s’y développent et le tannage entre dans sa phase industrielle.
 

La population ouvrière en forte croissance vit dans un état de pauvreté et de détresse sanitaire qu’on a peine à imaginer de nos jours : les familles nombreuses vivent entassées dans des caves, dans des étables souvent à même la terre battue. 
 

Les travailleurs rentrent le soir après 12 heures ou plus de travail harassant dans une salle infectée par l'huile, la poussière et les mauvaises odeurs, pour passer la nuit dans une habitation encore plus infecte, plus malsaine, sur une couche malpropre composée d'une paillasse et d'une espèce de lit de plumes pour couverture.
La nourriture est rare et chère à Barr : il n’y a que très peu de terres agricoles et toute la périphérie de la ville est plantée de vignes.

 

A titre d’exemple un ouvrier gagnait 1,50 frs par jour, une femme 0,75 frs et un enfant 0,60 frs (à cette époque ils travaillaient dès l’âge de 12 ans). Les ouvriers tanneurs étaient un peu mieux payés entre 2,25 frs et 2,50 frs.
Par comparaison, une miche de pain de 3 kg coûte 1,35 frs et un kilo de beurre 3,00 frs.

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Charles Frédéric DIETZ (1798-1878)

Maire de Barr de 1848 à 1871

La Kirneck

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En amont de Barr la Kirneck est un cours d’eau sain et limpide, mais dans la traversée du bourg, elle s’écoule à ciel ouvert, sert d'égout et recueille non seulement les eaux usées des familles mais aussi celles de l'industrie du tannage laquelle est particulièrement polluante.


L’actuelle rue de la Kirneck n’existe pas à proprement parler : des quais étroits et inégaux sont aménagés de part et d’autre pour accéder aux maisons et des ponts et passerelles permettent de la franchir notamment à la Couronne (« Kronenbrücke »), rue des Maréchaux « Schmidtgasse » et rue des Cigognes (« Storigegasse »).

L’épidémie de choléra

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En 1854 l’Alsace connaît une épidémie de choléra : elle frappe 609 personnes à Barr et cause 92 décès. Elle se propage le long de la Kirneck, touchant Gertwiller et Valff, alors que Mittelbergheim et Heiligenstein, situés à l’écart sont épargnés.


Les divers rapports fournis par M. Schwebel, médecin cantonal, décrivaient la Kirneck comme étant «un foyer d'infection exhalant des émanations putrides qui contribuent principalement au développement des maladies épidémiques».


Bien sûr, la Kirneck n’était pas la seule cause de cette épidémie meurtrière, mais la rivière qui en période de basses eaux n’est qu’un filet d’eau putride laissant des flaques croupissantes et nauséabondes au centre du bourg, a grandement contribué à répandre l’épidémie auprès d’une population pauvre et souffrant de malnutrition.

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La rue de la Kirneck au début du 20e siècle

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A gauche de la photo on voit le canal des tanneurs

Le plaidoyer du Maire

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Il devenait urgent d’assainir la ville, de recouvrir la Kirneck et alors que le projet était en gestation depuis 1860, le Maire Ch. Dietz - passablement agacé par le retard pris et les tergiversations de son conseil - déclarait lors de la séance du conseil municipal du 12 novembre 1866 : 
«Je viens de vous dire que l'entreprise a été déclarée d'utilité publique; je pourrai donc me dispenser d'entrer dans tout autre détail. Cependant je tiens à rappeler à l'administration supérieure que depuis que le chemin de fer vicinal existe, nos relations commerciales et industrielles ont doublé, qu'une foule d'étrangers se rendent à Barr tant pour affaires que pour visiter nos sites pittoresques et qu'une localité de cette importance, qui compte une population de plus de 5000 âmes, ne saurait rester plus longtemps sous le coup du reproche qu'on ne cesse de lui adresser, celui d'être un centre d'infection par les miasmes qu'exhale le lit de la Kirneck, qui traverse la ville d'occident en orient.

 
Le principe aujourd'hui est de marcher avec les progrès du siècle sous peine d’être taxés de rétrogrades. Une ville, comme la nôtre, ne peut pas rester stationnaire, lorsque ses voisines s'imposent tous les sacrifices possibles pour régénérer les œuvres d'un passé peu intelligent. Si ces œuvres blessent l'œil, s'ils nuisent à l'hygiène publique, si leur style est suranné, et leur conception vicieuse ou s’ils se trouvent dans un état de décrépitude avancée, il faut les livrer sans pitié au marteau de la démolition. 
Pour en revenir à notre Kirneck, hâtons-nous de dire que les siècles y ont passé sans l'améliorer qu'aucun plan préconçu n'a présidé à son encaissement, que ses quais sont étroits, peu commodes et ne s'harmonisent nullement entre eux. Et ne sera-ce donc rien de transformer un lieu infect en une avenue saine, large et belle ? 
L’œil en passant doit-il donc plonger éternellement sur ces eaux croupissantes, ces flaques vaseuses, ces déchets industriels, voire même sur ces corps d'animaux en putréfaction ? 


Il n’y a pas à tergiverser ici; le projet doit être envisagé sous deux points de vue, l'un tout aussi important que l’autre, celui de l'assainissement et celui de l'embellissement de la ville.»
 

Après ce plaidoyer vibrant du Maire le conseil approuva les travaux à l’unanimité !

Les travaux d’aménagement

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Il furent réalisés entre 1867 et 1871 pour un coût évalué à 150.000 frs selon les plans et estimations de M. Darcy, agent-voyer d'arrondissement.
Pour permettre aux ateliers de tannage de poursuivre leur activité, un canal de dérivation à ciel ouvert fut aménagé dans les parties les plus larges de la rue (ce canal sera recouvert entre les deux guerres mais il fut encore utilisé par les pompiers comme source d’approvisionnement en eau en cas d’incendie).


Ces travaux amélioraient considérablement l’aspect et la propreté de la rue de la Kirneck mais ne devaient pas entièrement résoudre les problèmes de salubrité puisque le cours désormais canalisé de la rivière continuait charrier toutes sortes de déchets industriels, les eaux usées et déjections des habitants… mais ils n’émergeaient que dans le secteur du quai de l’abattoir qui n’était encore à l’époque qu’une zone marécageuse et non bâtie. 
 

Le tout à l’égout ne fut installé que plus tard, mais chacun se souvient encore de l’écume bleutée aux effluves d'hydrogène sulfuré qui bouillonnait au niveau du pont de la Couronne…

La rue de la Kirneck que vous connaissez aujourd’hui rappelle par son aménagement réalisé dans les années 2000, la présence de la rivière aux eaux claires, limpides, poissonneuses et exemptes de calcaire qui fit jadis la richesse des tanneries barroises.

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Entre les 2 guerres, le canal des tanneurs est à son tour couvert.

(Photo R. Flecksteiner)

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