Le chemin de fer forestier
par Christian SCHMITTHEISLER
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Le chemin de fer forestier de Barr (en allemand : Waldeisenbahn Welschbruch) était une ligne ferroviaire à voie étroite destinée à l'exploitation de la forêt de Barr, sur la façade orientale du massif des Vosges. Il a été en service de 1889 à 1906 alors que l'Alsace faisait partie de l'Empire allemand.
Dans son édition du 7 mai 1966, le Journal de Barr publiait un article rédigé par l'abbé André Stehlé, dont nous reproduisons ici le texte.
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Il retrace avec une grande précision toute l'histoire de ce projet essentiel pour l'exploitation forestière en cette fin de XIXe siècle devenu nécessaire pour rentabiliser l'exploitation et subvenir au manque de main d'oeuvre pour le schlittage.
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En effet, depuis l'industrialisation de notre cité, il devenait difficile de recruter de nouveaux schlitteurs, qui ne voulaient plus de ce métier rude et dangereux.
«Une des dernières causeries radiophoniques du regretté président Redslob (décédé en 1962) avait pour sujet l'ancien chemin de fer forestier de Barr, die Waldeisenbahn. Il y décrivait à sa manière, c'est-à-dire avec autant de savoir que de cœur, le train miniature dont, au temps de sa jeunesse, les wagonnets dévalaient de la Rotlach par le Welschbruch jusqu'au dépôt du Holzplatz dans la vallée de la Kirneck, sans locomotive, accompagné du seul régleur de vitesse le Bremser. Au Holzplatz des attelages de chevaux ou de boeufs prenaient le relais jusqu'à la Gare de Barr sur la route construite en 1873 seulement.
Ce n'était pas l'unique chemin forestier des Vosges, Le transport du bois par chemin de fer était également assuré à Masevaux, à Rothau. à Saint-Quirin, à Abreschwiller (où la ligne existe encore, mais seulement pour des promenades touristiques). Le procédé, si ingénieux en l’absence de routes, du schlittage dans les Vosges connaissait une crise de main-d’œuvre. Les hommes s'écartaient de ce métier pénible et dangereux, préférant aller travailler à l'usine.
Le projet
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Un fonctionnaire allemand, l'Oberförster Rebmann, trouva une solution. Il n'était pas seulement le 2ème président du Club Vosgien de Barr et l'initiateur à partir de 1885 des célèbres plantations de douglas, variété américaine de résineux à croissance rapide, il proposa aussi en 1887 au syndicat forestier de «Barr et 4 autres communes» un devis que le Président Gottfried Bossert, ancien maire de la Ville, fit accepter.
On décida d'abord l'établissement d'une voie ferrée du Holzplatz jusqu'à une cabane construite en amont de la fontaine Laquiante, puis on étendit en 1388 la ligne jusqu'au Welschbruch avec raccordement à une voie déjà existante, mais démodée, construite en 1860 par l’administration française du Welschbruch à la Rotlach.
Rebmann a lui-même traité avec force détails techniques de la construction de cette voie forestière. Elle fut inaugurée par le Statthalter Fürst Chlodwig von Hohenloht-Schillingsfürst le 16 juillet 1889. Ce fut une fête mémorable (« ein Fest wie noch nie ») complaisamment et copieusement décrite par la presse locale.
Dès lors, le transport du bois qui était souvent lent en raison de la fréquence du mauvais temps, et coûteux (23 % de la recette y passaient) devenait beaucoup plus économique, l’accès du bois stocké était facilité aux acheteurs, le travail devenait moins pénible, les erreurs et les larcins plus rares.
La nouvelle voie ferrée était longue de 4.125 m jusqu'au Welschbruch où elle rejoignait l'ancienne, longue de 1.580 m, ce qui donnait un parcours total d'environ 6 Km. Les wagonnets, à carcasse en bois, circulaient sur des rails métalliques et pouvaient transporter quatre stères de bois, et des troncs longs de trente mètres. La différence de niveau était de 445 m avec une pente maxima de 7 %, et une pente moyenne de 5½ %. La vitesse atteignait 5 minutes au kilomètre à la descente et 14 minutes au kilomètre à la montée. Celle-ci s'effectuait par traction animale: on disposait de cinq chevaux.
Le schlittage : un métier pénible et dangereux
Le trajet de la Rotach au Holtzplatz
Les wagonnets au Welschbruch
Les rails de la Waldeisenbahn
Le succès et l'essor
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Le parc des voitures comprit au début 6 unités, plus tard 16. Les dépenses s'élevèrent pour la nouvelle voie à 51.000 Marks; pour l'aménagement du tronçon primitif à 3.000 Marks, pour le matériel à 4.000 Marks, donc au total 63.000 Marks. L'achèvement subit quelque retard par la mise en état du Holzplatz où il est si agréable aujourd'hui de jouer et de camper, car il fallut le niveler et le bulldozer n'existait pas encore.
Aussi bien la mise en service du chemin de fer fut-elle suivie d'une période d'enthousiasme et d’activité intense. En 1893 on suggère même de construire une voie similaire du Hohwald à la Gare de Barr pour le transport du bois et des voyageurs. En 1904 on regrette que la voie ne soit pas encore motorisée et prolongée jusqu'à la gare de Barr, avec transport des personnes. Et les touristes sont heureux de profiter pour leurs promenades du tracé de la Waldeisenbahn qui leur donne accès à de superbes sites de forêt.
La polémique et le déclin
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La rentabilité de l'entreprise a toujours été énergiquement affirmée par son auteur : le transport d'un mètre cube de bois revenait à 0,94 Mark et l'affaire est dite avoir rapporté durant la première année de son exploitation 10 % du capital engagé. D'autres contestaient les chiffres avancés : au lendemain même des fêtes inaugurales une controverse publique oppose Rebmann à un conseiller municipal et futur maire de Barr (en 1896) J. Moerlen; un autre Oberförster, Trawitz, reprocha à la municipalité la dépense et parla de 106.000 Marks investis au lieu de 63.000 cités plus haut.
De son côté, l'historien et maire de Barr appela l'entreprise «ein recht kostspieliger Versuch, sozusagen à fonds perdus». Nous n'avons plus les éléments pour trancher le débat: "adhuc sub judice lis est" (le litige est toujours en cours).
D'ailleurs l'évolution de la technique allait précipiter le moment de la fin. De même que le chemin de fer avait relayé le schlittage, de même la route allait régler le sort du chemin de fer. Depuis 1900 l'administration développait le réseau routier et en 1906 l'exploitation du chemin de fer forestier de Barr fut arrêtée et le matériel vendu en 1907 pour 17.050 Marks. La Waldeisenbahn n'avait pas duré vingt ans.
Un projet à vocation touristique
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En 1909, la Ville de Barr accorda à une firme étrangère la concession de la construction d'un tramway électrique de Barr à Ste-Odile qui aurait emprunté le tracé de la Waldeisenbahn, mais par manque de capitaux le projet n'eut pas de suite.
Rien ne reste actuellement de cette voie forestière de Barr qu’un tronçon de tracé fort bien repérable entre la fontaine Laquiante et le Welschbruch : n'est-ce pas une invitation au promeneur pédestre qui l'emprunte à se distancer de «l’homme indifférent au rêve des aïeux ?»
Du Holtzplatz à la Gare le bois était transporté par chars à boeufs
Il ne reste aucun vestige du chemin de fer forestier hormis quelques tronçons de chemins de randonnée
Un jour, un certain Atticus Laquiante voit des bûcherons se coucher à plat ventre dans le ruisseau pour se désaltérer, il eut l'idée de canaliser la petite source jaillissant à proximité. Sa veuve fera ériger cette fontaine en sa mémoire.
Il y a fort à parier qu'un tel projet de tramway électrique de Barr au Mont-Sainte-Odile aurait profondément changé le developpement touristique de notre petite cité...