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François Joseph ADLOFF  (1892-1959)
Le médecin dénoncé et déporté par les Nazis...

par Philippe Schultz

François Joseph ADLOFF est né à STUTZHEIM (Kochersberg), le 10 février 1892.  

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Après des études de médecine, il s’installa à BARR, en 1922, pour y ouvrir son cabinet. Troisième médecin à BARR, avec les Dr Gustave WAGNER et Yan MULLER, il exercera son activité dans la localité et dans de nombreuses communes des alentours. Joseph ADLOFF fut particulièrement apprécié de la population en raison de sa générosité empreinte de beaucoup d’humanisme. A en croire aux résultats des élections municipales de 1935, où il fut élu sur la liste du maire sortant Henri BAUMHAUER, le Dr ADLOFF jouissait d’une grande popularité ! Plusieurs générations de Barrois se souviendront qu’il prodiguait ses soins avec talent et bien souvent gratuitement aux malades les plus démunis.

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Lorsque la guerre survint, Joseph ADLOFF se refusa à toute compromission avec l’occupant. Ne cachant pas sa désapprobation face aux méthodes anti-démocratiques des nazis, le médecin se fit rapidement des ennemis au sein du milieu pro-allemand et notamment des membres zélés du parti NSDAP et des dirigeants de la commune… 

Il ne manquera aucune occasion pour exprimer sa révolte contre l’occupant. A tel point qu’en 1942, la tension arriva à son paroxysme, d’autant que le Dr ADLOFF fit l’objet d’une dénonciation sournoise sur laquelle nous reviendrons.

 

Le 27 août 1942, Joseph ADLOFF, son épouse Marie-Thérèse et leurs trois enfants Michel, Jean-Pierre et Anne-Marie sont déportés en Allemagne, sur décision des instances du parti nazi, après avis, ou plutôt sur initiative d’une commission locale présidée par le maire FRICKER. Mais l’exil édulcoré, infligé en 1915 à son illustre confrère le Dr Frédéric HECKER, pour des raisons similaires, n’était plus du goût de l’Allemagne nazie. Aussi, les ADLOFF furent tout d’abord internés au camp de SCHLECKINGEN près d’ULM où ils séjournèrent pendant deux mois en compagnie de plusieurs autres Alsaciens et de nombreux Polonais. Par la suite, la famille fut transférée à STUTTGART-ZUFFENHAUSEN où le médecin eut à s’occuper de travailleurs étrangers. Vers la fin de la guerre, Joseph ADLOFF fut incarcéré à la prison de STUTTGART pour n’être libéré qu’à l’arrivée des troupes françaises, en 1945.

Joseph ADLOFF et ses relations tendues avec le maire FRICKER et les Nazis...

Rappelons tout d’abord que l’annexion de l’Alsace et de la Moselle à l’Allemagne, qui entre en vigueur dès la défaite française de juin 1940, donne lieu d’office au remplacement des maires et conseils municipaux démocratiquement élus avant-guerre. C’est ainsi qu’il fut mis fin aux fonctions Paul DEGERMANN, élu maire en 1935, ainsi qu’à ses adjoints et conseillers. Les Allemands désignèrent Kamil FRICKER, né à MULHOUSE, à l’époque de la première annexion allemande, en 1896. FRICKER, qui avait quitté l’Alsace en 1918, occupait jusque-là un poste d’inspecteur dans l’administration à LAHR (Allemagne). Il arriva à BARR le 15 novembre 1940 et prit en main l’administration communale, sous la haute autorité du Gauleiter WAGNER. FRICKER occupa, à ce moment-là, tant le poste de maire (Bürgermeister) que celui de représentant local du parti NSDAP (Ortsgruppenleiter) à Barr.

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FRICKER constitua, autour de lui, une équipe issue de Barrois pronazis, ce qui, comme dans la plupart des communes alsaciennes, et même s’ils ne représentaient qu’une petite minorité au sein de la population, ne posa pas de grandes difficultés à l’envahisseur… ! Le penchant francophile du Dr ADLOFF et de son épouse était de plus en plus connu au sein de la population et contrastait pour le moins avec le comportement attendu...

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Le Dr Joseph ADLOFF témoignera, dans le cadre d’une procédure d’enquête de la commission de criblage de Sélestat, en date du 15 juin 1945*, d’une entrevue avec FRICKER : «… J’ai été appelé devant le Bürgermeister FRICKER qui m’a condamné à 50 Marks d’amende et m’a dit que j’étais sous menace de déportation… ».

 

Dès lors, il suffira de peu pour que la rupture n’intervienne.

 

Joseph ADLOFF, dans son même témoignage*, poursuit : « J’ai eu Mme X…  comme concierge pendant 20 ans. Sa fille a été élevée à la maison jusqu’à son mariage et même mariée, elle venait très souvent ici. Dès l’arrivée des Boches, elle (la fille) est allée les trouver et leur a offert de collaborer avec eux. Par la suite, elle leur rapportait tout ce qui se passait à la maison. Que nous parlions français, que ma femme faisait des réunions où l'on ne parle que le français et qu’elle avait dit, un jour, qu’elle « reconduirait les Boches avec un bâton ». Après avoir été convoqué devant FRICKER, j’ai mis la mère à la porte de chez moi. J’ignore ce que ces femmes ont pu faire contre moi, par la suite. Comme tous les accusaient d’être la cause de ma déportation, FRICKER a fait publier que quiconque lui en parlerait encore serait interné à SCHIRMECK (camp de redressement). La fille X… était une Nazie très convaincue. Elle fréquentait les Allemands de la localité et était crainte de tous… ».

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Le cas ADLOFF fut rapidement mis à l’ordre du jour d’une commission locale, dans laquelle siégeaient quelques notables du parti, pour la plupart Barrois de souche… Des témoignages concernant notamment l’un d’entre eux, commerçant très connu sur la place, sont sans appel : « Après l’entrée des Allemands en Alsace, Y… s’est spontanément offert pour aider à la formation des différents groupements nazis à Barr. Il a été nommé Ortsgruppenleiter (responsable local du parti NSDAP) et plus tard Personalamtsleiter (responsable du personnel). Il a participé au conseil qui a décidé la déportation du Dr ADLOFF… ».

Nous aurons l’occasion, dans un autre article, de revenir sur le climat particulièrement délétère qui régnait alors à BARR et en particulier sur les agissements, envers leurs concitoyens, de certains adeptes de l'idéologie nazie. Il nous importait toutefois, au regard du destin de la famille ADLOFF, de rappeler que la ligne de partage, entre le bien et le mal, entre ceux qui subissaient et d’autres qui, par opportunisme ou conviction, se rangeaient du côté de l’occupant, était et restera très difficile à tracer.

 

Il n’en est pas moins que certains ne manquaient aucune occasion, à l’exemple de cette Barroise*, pour cultiver leur image auprès de FRICKER, notamment en lui souhaitant pour le moins de chaleureux vœux à l’occasion de son anniversaire, tout en concluant, bien entendu, par le traditionnel « Heil HITLER »!

Cher Monsieur le maire, mes sincères vœux de bonheur et de santé ainsi que toutes les bonnes et belles choses vous souhaite de tout cœur, à l'occasion de votre anniversaire, Madame F... Ma... Heil Hitler  

Cela pour couper court à l’image, parfois ancrée dans la mémoire collective, que tous les Alsaciens annexés et Français occupés étaient, à l’époque, des « résistants »… !   

La famille ADLOFF rentre à Barr...

Le 12 mai 1945, Joseph ADLOFF et les siens purent enfin regagner BARR où un accueil triomphal leur fut réservé ! C’est dans la maison familiale, généreusement pavoisée, en présence d’une foule de sympathisants conduite par la municipalité, musique en tête, que le couple et ses trois enfants purent enfin goûter de la liberté retrouvée !

 

Joseph ADLOFF se remit immédiatement au service de la population et fut reconduit dans ses fonctions électives comme premier adjoint au maire Paul DEGERMANN.  Décoré de la médaille de la Résistance, il continua à exercer sa profession de médecin avec la même conviction, la simplicité et le désintéressement qui le caractérisaient, et ce jusqu’à sa mort, le 2 mai 1959.  

*sources : archives départementales du Bas-Rhin codes 38.320 et 64741 

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